Interpellation sur les tutelles et curatelles

Interpellation Christiane Jaquet-Berger – L’Office cantonal des curatelles et tutelles professionnelles (OCTP) est-il en mesure de répondre aux défis qu’il affronte ?
et réponse du Conseil d’Etat

Par Christiane Jaquet-Berger, députée au Grand Conseil vaudois

Comme on peut le lire sur le site de l’Etat : ” La mission principale de l’Office cantonal des curatelles et tutelles professionnelles (OCTP) est d’exécuter des mandats de protection prononcés par des Justices de Paix en faveur de personnes majeures ou mineures nécessitant un encadrement social et administratif particulier et qui ne peuvent de ce fait être assumés par des curateurs privés. ” Les curateurs professionnels assument donc désormais tous les cas lourds qui sont en augmentation.

Leur tâche est particulièrement difficile, vu la spécificité des cas à suivre et la complexité de l’application du nouveau droit de protection de l’adulte et de l’enfant. Il est donc essentiel qu’ils disposent des moyens permettant qu’une relation avec les pupilles puisse se construire avec régularité et empathie afin de correspondre aux valeurs de dignité et de respect de l’autonomie des pupilles telles qu’elles sont décrites sur le site de l’Etat. On peut y lire aussi que ” l’Office engage des
collaborateurs compétents, formés, aptes à prendre des décisions pertinentes adaptées au contexte, proportionnées et respectant le cadre légal et à en rendre compte, avec des capacités de résistance au stress, d’empathie et de distanciation.”

Or, comme l’ont montré la commission de gestion et la discussion sur le budget, le nombre de personnes engagées par contrat de durée indéterminée (CDI) paraît être devenu une faible majorité. Les autres employés sont des apprentis, des personnes engagées par l’assurance-chômage pour une durée de six mois et surtout un large volant de personnes auxiliaires, donc engagées en contrat de durée déterminée (CDD). Ces personnes effectuent pourtant dans leur majorité un travail régulier.

C’est pourquoi, dans le souci d’un bon fonctionnement de l’OCTP, d’une lutte contre une situation précaire du personnel

et surtout de la qualité du soutien et de la relation avec les pupilles, je souhaite poser les questions suivantes au Conseil d’Etat :

1. Quelle est la proportion de personnes engagées par CDI au sein de l’Office ?
2. Quel est le nombre de dossiers confiés par personne aux collaborateurs de l’OCT, qu’ils soient employés avec CDI ou non ?
3. Quel est le taux de turnover ?
4. Quel est le taux d’absences pour maladie ou pour surcharge (burn-out) en comparaison avec d’autres services de l’Etat ?
5. Combien de temps les personnes engagées en CDD restent-elles dans l’Office avec ce type de contrat, y compris d’éventuels renouvellements, et qu’est-ce qui leur est proposé comme formation, comme réengagement une fois le contrat CDD arrivé à terme, voire comme perspectives professionnelles ?
6. Quels échos l’Etat a-t-il des relations qui se construisent ou non avec les pupilles (par exemple, certaines pupilles disent ne jamais rencontrer leur curateur) et quel bilan en tire-t-il ?
7. Le Conseil d’Etat est-il satisfait de la situation actuelle à l’OCTP ? Envisage-t-il des améliorations dans un avenir proche ? Si oui, lesquelles ?

 

Réponse du Conseil d’Etat
Préambule

Le 7 juillet 2014, le Conseil d’Etat a annoncé que les citoyens ne seront plus nommés curateurs contre leur gré, quelle que soit l’issue de l’initiative parlementaire Schwaab. A ce titre, le Conseil d’Etat a fait part de sa volonté politique d’aller vers un modèle combinant curatelles professionnelles et volontaires. La cible du Conseil d’Etat est d’atteindre l’objectif suivant : 50% des mesures seront prises en charge par des curateurs professionnels et 50% par des curateurs volontaires privés. L’objectif poursuivi par le canton de Vaud est ambitieux en comparaison d’autres cantons, lesquels connaissent en moyenne une proportion beaucoup plus élevée de curatelles professionnelles confiées à des employés de l’Etat (70 % environ). Ainsi, la projection ” CIBLE 2020 ” tend à éviter que l’OCTP se retrouve avec plus de 65 % des mandats. Il s’agit aussi d’éviter une systématisation de l’intervention de l’Etat et de favoriser un modèle qui repose sur les solidarités, modèle qui permet également de diminuer les répercussions financières.

Cette réforme fait l’objet d’une démarche tripartite DIS-DSAS-OJV avec un pilotage assuré par un Comité stratégique composé des deux chefs de département et du président du Tribunal cantonal. Plusieurs groupes de travail se sont réunis durant près d’une année afin de définir et mettre en œuvre les mesures nécessaires pour recruter des curateurs privés, agir en amont de la curatelle et renforcer le soutien aux curateurs privés actuels.

Rappel des réformes successives
1. Réforme dite des ” cas lourds ”
Dès 2009, un groupe de travail interdépartemental (OJV, DSAS, DIS) a oeuvré sur la réforme dite des ” cas lourds “, avec des modifications légales entrées en vigueur au 1er janvier 2012 permettant d’améliorer l’identification des curatelles lourdes ou des situations urgentes pour les confier à l’OCTP et de faciliter la prise en charge par les curateurs privés. Un bilan de la réforme des ” cas lourds ” a été validé par le Conseil d’Etat en mai 2014 et transmis au Grand Conseil. La Commission des affaires judiciaires a accepté à l’unanimité ce bilan en novembre 2014.

2. Entrée en vigueur du nouveau droit de protection de l’adulte
Le nouveau droit de protection de l’adulte et de l’enfant (PAE) est entré en vigueur le 1er janvier 2013. Il prévoit notamment le renforcement du principe d’autodétermination avec de nouveaux instruments juridiques (mandat pour cause d’inaptitude et directives personnelles anticipées), le renforcement de la solidarité familiale, la réduction de l’intervention de l’Etat (principes de proportionnalité et de subsidiarité) et le maintien de l’obligation d’accepter les mandats de curateur (art. 400 al. 2 du Code civil ; ci-après : CC). Pour le législateur, cette obligation est ” l’expression de l’esprit de solidarité qui doit prévaloir dans le domaine de la protection de l’adulte, malgré l’évolution de la société “.

3. L’initiative fédérale Schwaab
Le 14 mars 2012, le conseiller national vaudois Jean Christophe Schwaab a déposé une initiative parlementaire fédérale sous le titre ” Les citoyens ne doivent pas être nommés curateurs contre leur gré ” visant à modifier l’art. 400 al. 2 CC. Les commissions des affaires juridiques du Conseil national et du Conseil des Etats l’ont acceptée en janvier 2013 et une consultation des cantons s’est déroulée au premier semestre 2014. Le Conseil d’Etat vaudois y a répondu le 7 juillet 2014 en indiquant ne pas être favorable à la modification du CC, portant atteinte à la souveraineté cantonale. En cas d’acceptation de l’initiative, le Conseil d’Etat a demandé un délai transitoire de mise en œuvre de cinq à sept ans.

1. Quelle est la proportion de personnes engagées par CDI au sein de l’Office ?
Au 30 juin 2016, l’OCTP comptait 103 équivalents temps plein (ETP) en CDI, 37 ETP en CDD auxiliaires et 3.2 en CDD pour des remplacements. Sans compter les personnes en formation (apprentis et stagiaires), le taux de l’effectif en CDI au 30 juin 2016 est donc de 72% par rapport à 28% d’auxiliaires.

2. Quel est le nombre de dossiers confiés par personne aux collaborateurs de l’OCT, qu’ils soient employés avec CDI ou non ?
Un curateur professionnel à plein temps gère 60 dossiers. Il n’y a pas de différence entre les personnes bénéficiant d’un CDI ou d’un CDD.

3. Quel est le taux de turnover ?
Les taux de turn-over de l’OCTP calculés par le SPEV au 14 juillet 2016 sont les suivants :
– 2016 : 3.1%.
– 2015 : 6.3%
– 2014 : 3.7%

4. Quel est le taux d’absences pour maladie ou pour surcharge (burn-out) en comparaison avec d’autres services de l’Etat ?
Les taux d’absences basés sur les données du personnel sont les suivants:

captureL’augmentation constatée dans les 6 premiers mois de 2016 est en partie due à un cumul de maladies de longue durée non liées aux conditions de travail (~1%). Concernant la comparaison avec d’autres services de l’Etat, il n’existe pour l’heure pas de système unifié et centralisé de saisie des temps d’absences du personnel. Il n’est par conséquent pas possible à ce jour de réaliser un comparatif sur le taux d’absence. Un projet de création d’un référentiel d’absences commun aux services est en cours.

5. Combien de temps les personnes engagées en CDD restent-elles dans l’Office avec ce type de contrat, y compris d’éventuels renouvellements, et qu’est-ce qui leur est proposé comme formation, comme réengagement une fois le contrat CDD arrivé à terme, voire comme perspectives professionnelles ?
La durée moyenne des contrats de durée déterminée (CDD), comprenant les renouvellements consécutifs, le plus souvent d’auxiliaires, qui se sont terminés entre 2014 et 2016, est de 417 jours, soit environ 1 année et 2 mois. Il n’y a pas de différence entre les contrats des curateurs professionnels (415 jours) et ceux des collaborateurs administratifs (418 jours). Sur le plan de la formation et des perspectives professionnelles, l’OCTP ne fait pas de distinction entre les collaborateurs au bénéfice d’un contrat à durée indéterminée (CDI) et ceux au bénéfice d’un contrat à durée déterminée (CDD) et met l’ensemble des collaborateurs sur un plan d’égalité.

6. Quels échos l’Etat a-t-il des relations qui se construisent ou non avec les pupilles (par exemple, certaines pupilles disent ne jamais rencontrer leur curateur) et quel bilan en tire-t-il ?
Dans le cadre de l’exercice de la curatelle, le curateur doit prendre personnellement contact avec la personne concernée (art. 405 CC). Lors d’un nouveau mandat, le curateur est tenu de la rencontrer dans un délai de maximum 10 jours (en cas d’extrême urgence, dans les 24 heures). Il s’emploie à établir une relation de confiance avec elle (art. 406 al. 2 CC). Tout au long de la durée de la prise en charge, les contacts peuvent se faire de différentes manières, par le biais de visites et de rencontres (à domicile, à l’hôpital, en institution, etc.), de téléphones, de participation à des réseaux, etc. Chaque situation étant spécifique, la fréquence des rencontres peut varier. En fonction de la situation, le curateur va évaluer avec la personne concernée (et le réseau, si nécessaire) ses besoins en matière de rencontres et les modalités de celles-ci, charge pour le curateur de réévaluer les besoins en cours de mandat. Plusieurs cas de figure peuvent se présenter :
– La personne est autonome et vit à son domicile : le curateur va rencontrer la personne concernée selon les besoins de celle-ci, au cas par cas.
– La personne n’a pas de domicile fixe : le curateur va être amené à la rencontrer plus souvent, dans le but de s’assurer de son état de santé, puis d’élaborer avec elle un projet de vie plus stable. Souvent, ces personnes se présentent à l’Office pour venir chercher leur entretien à la semaine (voire quotidiennement) ou à la quinzaine. Le curateur profite souvent de l’occasion pour un échange avec elle.
– La personne vit en institution (EMS, foyer, etc.) : les rencontres se font plus régulièrement au rythme des réseaux et des demandes institutionnelles.

Dans tous les cas, le curateur évalue la fréquence des entrevues en fonction de la situation et des besoins. Les curateurs de l’office gèrent plusieurs dizaines de mandats chacun. Ils sont régulièrement appelés à se déplacer en réseau, en audience auprès des justices de paix et des tribunaux, dans les institutions, en particulier dans les hôpitaux psychiatriques ou en séances diverses dans l’ensemble du canton. Ils ne sont donc pas immédiatement disponibles, ce qui
peut créer de la frustration auprès des personnes sous curatelle, notamment au début du mandat. Avec la régionalisation de l’OCTP, les déplacements des curateurs vont se réduire et leur disponibilité pour des entretiens avec les personnes concernées augmenter.

7. Le Conseil d’Etat est-il satisfait de la situation actuelle à l’OCTP ? Envisage-t-il des améliorations dans un avenir proche ? Si oui, lesquelles ?
L’attribution des cas lourds à l’OCTP, qui a eu pour conséquence le doublement des mandats confiés à l’office entre 2011 et 2015, et l’effet attendu de l’initiative parlementaire fédérale ” Schwaab ” impactent fortement l’organisation et le fonctionnement de l’OCTP. Pour entreprendre les changements organisationnels nécessaires, l’OCTP a mandaté l’UCA pour réaliser une revue des processus internes. Le Conseil d’Etat a pris connaissance des mesures d’amélioration retenues. Des démarches d’optimisation ont été engagées et devraient permettre d’augmenter l’efficacité et la productivité de l’office. Le Conseil d’Etat est également attentif dans les procédures budgétaires d’octroyer les ressources nécessaires à l’OCTP.
Simultanément, la réforme vaudoise de la curatelle aura pour résultat d’améliorer le soutien et la formation aux curateurs privés et permettra de recruter des nouveaux curateurs volontaires, afin d’atteindre la cible des 50% – 50% qu’il a fixée entre les curateurs privés et les curateurs professionnels. Tous les efforts sont entrepris pour permettre de concrétiser cette réforme dans les meilleurs délais.

Ainsi adopté, en séance du Conseil d’Etat, à Lausanne, le 9 novembre 2016.