À VOTRE SANTÉ!

Il y a un mois, je parlais de la dégradation de la santé des Grecs et me demandais combien de souffrances et de morts faudrait-il encore aux peuples grecs, espagnols, portugais, etc., pour qu’une Europe solidaire voie le jour. Visiblement, l’Europe de la finance a encore gagné une bataille en décriant puis en bafouant la volonté du peuple grec et en imposant un diktat économique à ce pays, ce qui va encore aggraver la crise sociale et sanitaire. Et pendant ce temps, on apprend que la crise grecque a rapporté quelque 100 milliards à l’Allemagne… et combien à la France «socialiste»?

De plus, la Grèce, comme l’Italie, est confrontée à un afflux important de migrants arrivés par la mer, car il devient de plus en plus difficile d’entrer en Europe par la terre: ils sont 100 000 depuis le début de l’année à être entrés dans la seule Grèce en pleine crise, et dont les pays du Nord, y compris la Suisse, ne veulent pas. Ces gens, qui viennent de la Syrie, de l’Afghanistan, de l’Erythrée, du Soudan ou parfois de l’Afrique subsaharienne, fuient des zones de conflits ouverts ou de dictatures féroces. Il y a trente-cinq ans, on les aurait appelés des «boat people» (comme ces hommes et ces femmes qui fuyaient le Vietnam et qui avaient suscité un élan de solidarité en Europe; cet élan avait entre autre donné naissance à Médecins du Monde (MdM). Il y a quinze ans, on les appelait encore des demandeurs d’asile, mais aujourd’hui, on les désigne par le terme de migrants, dénomination neutre qui montre pour le moins l’absence d’empathie, et l’immense peur sous-jacente qu’ils éveillent en Europe.

Et ceux qui, malgré tous les obstacles, ont réussi à «s’installer» en Europe, comment se portent-ils ?

MdM Suisse participe, via son programme de soins aux migrants, à l’Observatoire européen de la santé des personnes confrontées à de multiples facteurs de vulnérabilités, en particulier les demandeurs d’asile et les sans-papiers. Le rapport 2015 s’appuie sur les données collectées en 2014 lors de consultations médicales et sociales individuelles réalisées auprès de 23 040 personnes dans 25 programmes/villes en Allemagne, Belgique, Espagne, France, Grèce, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suède, Suisse et Turquie. Il dépeint un tableau bien sombre du «berceau des droits humains». Il nous rappelle, entre autre, la souffrance physique et psychologique de ces gens et qui est liée à l’extrême dangerosité des routes migratoires qu’ils ont suivies, aux conditions indignes de détention dans les centres d’accueil et à l’angoisse permanente d’être expulsé. Je vous livre quelques éléments de ce rapport qui parlent d’eux-mêmes.

Les deux tiers des personnes vues par MdM en Europe en 2014 ne bénéficient pas de couverture maladie. Moins de la moitié des enfants vus dans les consultations de MdM sont vaccinés contre le tétanos (42,5%) ou la rougeole, les oreillons et la rubéole (34,5%) – alors qu’en Europe le taux de vaccination à l’âge de 2 ans atteint 90% au sein de la population générale. Plus de la moitié des femmes enceintes n’ont pas bénéficié de consultation prénatale avant leur venue à MdM.

Quatre femmes enceintes sur cinq n’ont pas de couverture santé et vivent au-dessous du seuil de pauvreté; 30,3% disent recevoir peu de soutien moral ou n’ont personne sur qui compter.

Cette précarité peut être aussi illustrée par un exemple vécu cette année dans un canton suisse: un jeune homme, hébergé dans un abri PC, a consulté plusieurs fois un service d’urgence, sans interprète et sans que l’on comprenne bien ses maux, pour une toux persistante, jusqu’au jour où, étant très mal, il est hospitalisé et qu’on lui trouve une tuberculose. Sa situation ne lui a pas permis d’avoir accès dans de bonnes conditions aux soins adaptés (dans une unité qui connaît les problèmes de santé prioritaires des migrants). Il n’a pas eu non plus accès à des examens de dépistages qui auraient peut-être permis de diagnostiquer sa maladie plus tôt et potentiellement d’éviter de la transmettre à d’autres. Ses conditions d’hébergement, à la limite de la dignité humaine, tendent à favoriser le déclin de sa santé.

Ces observations me paraissent suffisamment inquiétantes, à l’heure où l’on parle en Suisse de mettre en place des centres nationaux d’accueil de requérants d’asile dans l’idée d’accélérer les procédures administratives: va-t-on voir ces migrants, ces demandeurs d’asile, ces gens, des boat people encore plus fragilisés dans leur santé et recevant un accès aux soins encore plus restreint? Rien n’indique actuellement que cet aspect de la problématique intéresse les services de Mme Sommaruga, et encore moins la majorité du parlement national.

Et pourtant le préambule de notre Constitution fédérale ne nous rappelle-t-il pas que la force de la communauté se mesure au bien-être du plus faible de ses membres…

par Bernard Borel
Samedi 22 août 2015