Qu’est-ce que j’en ai à faire des millionnaires ? Notre réponse à « Avenir Suisse »

Dans une étude intitulée « Qu’est-ce que j’en ai à faire des millionnaires ? » publiée début décembre 2017, Avenir Suisse, la machine de guerre idéologique du grand patronat suisse, s’attaque au problème des inégalités en Suisse, qualifié de « mythe » propagé essentiellement par la « jalousie » de quelques individus. Adepte de la méthode Coué, l’institut de propagande, dont l’avenir ultra-libéral qu’il promet ressemble à s’y méprendre au XIXe siècle, assure que « beaucoup de choses vont bien en Suisse ». Quels sont les fondements de cette affirmation ? Le principal argument de nos futurologues est que, aussi loin que les statistiques remontent, la répartition du revenu disponible des ménages (c’est-à-dire du revenu effectivement disponible pour consommer et épargner, après déduction des impôts et des primes d’assurance maladie notamment) est caractérisée par sa stabilité.

Petit détail piquant : les statistiques sur lesquelles se base Avenir Suisse ne remontent qu’à… 1998 ! Totalement insuffisant donc, sachant que l’historien Eric Hobsbawm, dans son célèbre Âge des extrêmes, constatait que la Suisse faisait déjà partie dans les années 1970 des pays industrialisés où les 10% des plus riches s’approprient la plus grande part du revenu total de leur pays. On ne saurait donc se vanter du maintien d’un taux d’inégalité qui se situe d’ores et déjà depuis plusieurs décennies hors de toute proportion au niveau mondial.

Deuxièmement, et de manière plus importante, les statistiques sur le revenu invoquées par les idéologues du patronat masquent de très profondes inégalités de fortune. Selon les chiffres les plus récents (2014) de l’Office Fédéral de la Statistique, une proportion infime – 0,7% – de la population helvétique dispose d’environ 38% du patrimoine global à disposition des ménages du pays. Ces chiffres, déjà impressionnants, constituent vraisemblablement une forte sous-estimation de la réalité, car ils sont basés sur les déclarations fiscales. Comme l’a largement démontré la récente affaire des Paradise Papers, ce qui est déclaré aux impôts par la bourgeoisie est souvent loin de refléter l’état de son patrimoine réel.

Enfin, d’autres statistiques brossant un tableau beaucoup plus sombre de la situation ont opportunément été laissées de côté par Avenir Suisse. Pour ne donner qu’une seule autre variable, selon les chiffres de l’OCDE datant de 2015, le taux d’endettement des ménages suisses, qui représente 211,2 % du revenu disponible, est l’un des plus élevés au monde, loin devant des pays pourtant volontiers cités comme des bouc-émissaires sur le plan économique, comme la Grèce (118,4 %), la France (109,2 %) ou l’Italie (88,5 %).

Néanmoins, même les meilleures statistiques sur le niveau des inégalités en Suisse ne suffiraient pas si elles n’étaient pas conjuguées à la prise en compte de l’antagonisme principal qui structure toute société capitaliste : celui qui oppose le travail au capital. Or, ce rapport social a, depuis plusieurs décennies, largement tourné en faveur des capitalistes suisses. Ainsi, de 1991 à 2006, alors que la productivité des travailleurs dans les entreprises industrielles en Suisse a augmenté de 46.4 %, la croissance nominale de leurs salaires n’a été que d’environ 24 %. Les inégalités en Suisse, loin d’être le fruit d’une quelconque fatalité, sont donc directement le produit de ce rapport de forces inégal et de cette exploitation croissante des travailleurs du pays, dont l’augmentation de la productivité va pour une bonne partie directement dans la poche de leur employeur. À l’heure où une large coalition gouvernementale fédérale, allant du Parti socialiste aux principaux partis bourgeois (PLR-UDC-PDC), mène le pays vers le projet de société ultra-libéral rêvé par Avenir Suisse, on ne saurait assez rappeler à quel point toute politique d’opposition qui ne se concentrerait pas prioritairement sur le rapport entre capital et travail serait vouée à l’échec.

La rédac-web du POP-Vaud