Par Vincent Keller, député POP au Grand Conseil vaudois

Le 14.03.2015, 24Heures a publié un supplément fiscal en collaboration avec l’administration fiscale vaudoise, selon une habitude existante depuis 2005. Pour 2015, le cahier porte le titre «Taux unique, la révolution fiscale», et comporte quatre représentations du Chef du Département des Finances et des Relations Extérieures (première page, page 3, page centrale, page 7), ainsi que plusieurs articles en faveur de la baisse du taux d’imposition des entreprises. Nous ne notons nulle mention des argument défavorables à cette baisse. Si un certain nombre de textes sont signés de rédacteurs de 24Heures, plusieurs ne sont pas signés.

Le 23.03.2015, M. Michel Zendali, membre du Conseil Suisse de la Presse, a signalé à cette instance le supplément fiscal, et a proposé que le Conseil s’autosaisisse de ce cas pour examiner une éventuelle violation de la Déclaration des droits et devoirs du/de la journaliste. Le Conseil Suisse de la Presse a récusé M. Zendali selon la demande du 24Heures et statué sur le fond en date du 03.12.2015 de la manière suivante[1] :

« Pour le Conseil suisse de la presse, la question centrale consiste à savoir si, en publiant son supplément fiscal en l’état, «24heures» a contrevenu à l’obligation de distinguer le contenu rédactionnel de la publicité, comme le veut l’article 10 de la «Déclaration»: «S’interdire de confondre le métier de journaliste avec celui de publicitaire; n’accepter aucune consigne, directe ou indirecte, des annonceurs publicitaires». La communication des pouvoirs publics ne relevant à l’évidence pas du rédactionnel, le Conseil de la presse considère qu’elle doit être clairement distinguée du contenu rédactionnel lui-même. En l’occurrence, le journaliste est tenu à «[u]ne nette séparation entre la partie rédactionnelle, respectivement le programme, et la publicité. [Cette séparation] est impérative pour la crédibilité des médias. Les annonces et émissions publicitaires doivent se distinguer de façon claire et visible des contributions rédactionnelles» (directive 10.1).
« Si «24 heures» a bien respecté les formes minimales exigées (le supplément fiscal est présenté, en première page à droite, comme «Réalisé par l’Administration cantonale des impôts»), le Conseil de la presse note toutefois que la confusion est induite à plusieurs niveaux. L’éditorial, signé par un personnage clairement identifié comme journaliste de premier plan par les lecteurs, induit une ambigüité sur la responsabilité éditoriale du supplément, d’autant qu’il est précédé en Une d’un dessin signé par l’un des deux caricaturistes habituels du journal, que les lecteurs sont également habitués à rencontrer dans la partie rédactionnelle du journal. Rédactionnel et publicitaire ne sont donc, à cet égard, pas clairement distingués, et les indices de responsabilité du contenu rédactionnel sont contradictoires, d’autant que l’impressum, s’il mentionne bien le nom des contributeurs de l’Etat, mentionne également le rédacteur en chef du journal comme rédacteur en chef du supplément.

« La seconde question qui se pose selon le Conseil de la presse consiste à savoir si le supplément publié constitue une propagande illicite (directive 2.3: Distinction entre l’information et l’appréciation). Le supplément fiscal aurait-il dû contenir d’autres points de vues, autrement dit, y a-t-il «confusion entre information et propagande politique, aucun point de vue opposé à la réforme n’étant relayé» (mail de M. Zendali)? Le Conseil de la presse répond par la négative: dans sa pratique, il a régulièrement souligné qu’il était admissible qu’une information soit engagée et unilatérale, pour autant que l’existence d’autres points de vue soit également mentionnée. Et à cet égard, la défense de «24heures» (point D. des faits) est convaincante ».

Signalons que le supplément fiscal figure depuis lors sur le site de l’Etat de Vaud (www.vd.ch/impots), sans mention de l’existence d’autres points de vue[2]. Ce supplément a également fait l’objet d’une interpellation du député Jean Tschopp « Quelles garanties pour la libre formation de l’opinion ? » dont la réponse a été adoptée en même temps que la baisse fiscale défendue. Cette baisse fiscale a été combattue par un référendum, qui a abouti avec 14’259 signatures valables. La votation a été fixée au 20.03.2016[3]. Les opposants-es se sont vu offrir une page A5 (env. 2’000 signes, espaces compris) dans la brochure d’information prévue pour cette votation, avec délai de rédaction au 12.01.2016.
Cela étant exposé, nous posons les questions suivantes :

  1. Le Département des Finances prévoit-il un supplément fiscal 2016 avec le quotidien 24Heures, et prévoit-il d’y inclure des informations concernant la réforme fiscale soumise à votation le 20 mars 2016 ?
  2. S’il prévoit la publication d’un supplément fiscal 2016 avec des informations concernant la réforme fiscale, compte-t-il donner la parole aux opposants-es, et de quelle manière ? Sinon, une autre occasion de s’exprimer est-elle prévue pour les opposants-es ?
  3. Si le supplément fiscal ne comporte pas l’avis des opposants-es, quelles mesures sont-elles prévues pour que l’Etat de Vaud ne soit pas impliqué dans une violation de la Déclaration des droits et devoirs du/de la journaliste, telle que celle constatée par le Conseil Suisse de la Presse en date du 03.12.2015 ?

Son intervention en vidéo

[1]
http://presserat.ch/_45_2015.htm

[2]    http://www.vd.ch/fileadmin/user_upload/organisation/dfin/aci/fichiers_pdf/Supplement_24Heures_2015.pdf

[3]    Communiqué de presse du Bureau d’Information et de Communication du 23.12.2015