Par Christiane Jaquet, députée au Grand Conseil vaudois
(Article paru dans Gauchebdo du 15.01.2014)

Le bruit courait que mercredi 15 janvier, on allait voir ce qu’on allait voir : le Conseil fédéral allait frapper un grand coup pour rassurer les locataires qui cherchent en vain des logements à un prix abordable dans les régions de pénurie. Et ce sont les milieux immobiliers qui ont été rassurés ! Le transparent Schneider Ammann, qui ne manque pas une occasion pour affirmer qu’il est libéral – comme si quelqu’un en doutait encore – a mis l’entier de l’énergie dont il a tant de peine à faire preuve pour que ce « grand coup en faveur des locataires » ne soit qu’un coup d’épée dans l’eau . « La majorité de la population dispose d’un logement de qualité à un prix abordable » a-t-il déclaré du haut de son inoxydable dogmatisme. Et d’annoncer qu’il n’interviendra pas dans la fixation
des prix ou pour l’interdiction des congés en cas de hausse de loyer, se contentant de mettre en consultation un projet qui impose que le prix précédent du logement soit transmis au nouveau locataire. Ce qui est pratiqué déjà dans les cantons de Vaud, Genève, Neuchâtel, Fribourg, Zurich, Nidwald et Zoug, mais avec, en plus, le droit du
nouveau locataire de contester le nouveau bail, une fois celui-ci signé. Bien entendu, pas question pour le Conseil fédéral d’aller dans ce sens. Les propriétaires et les gérants d’immeubles n’ont pas de soucis à se faire. Et le communiqué triomphaliste du parti socialiste fait rire les mouches : « Droits des locataires, un pas en direction du PS ».

Pénurie et disparités

En Suisse, les locataires sont largement majoritaires, 60% environ. Or les disparités sont très grandes. Les cantons du Jura, de Soleure ou d’Argovie ne connaissent pas de pénurie. Et même au sein des cantons malmenés, comme c’est le cas dans la région lémanique, on voit que les loyers de la Vallée de Joux, de Sainte Croix ou du Locle n’ont rien à voir avec ce qui se pratique à Rolle, à Genève ou à Lausanne.

Selon l’Office fédéral des statistiques de juin 2013, le taux de logements vacants en Suisse est de 0,96%. Avec des points particulièrement noirs depuis des années à Lausanne (0,3%), Bâle ville (0,33%), Zoug (0,36%), Genève (0,36%) ou Zurich (0,6%). En revanche, dans le Jura il est de 2,01%. Heureux locataires jurassiens. Reste bien sûr à savoir en quoi consistent ces logements vacants, à vendre ou à louer, quel nombre de pièces, luxueuses ou non, quelle situation. Hélas dans la région lémanique ou celle de Bâle, ce sont les logements hors de prix qui cherchent des acquéreurs…

La conférence de presse du Conseil fédéral de mercredi était censée rassurer les régions frontalières en vue de la votation du 9 février. C’est là que la libre circulation paraît le plus irriter la population en peine de logements. Or, toutes les études montrent bien que ce sont de vraies mesures de protection qui peuvent seules rétablir une situation qui n’incombe pas aux étrangers mais bel et bien aux milieux immobiliers. Quant aux cantons, ils se réfugient derrière leur petit doigt en assurant que le logement concerne les communes. Et les communes se montrent plus empressées de favoriser l’accueil de contribuables cossus que de familles ou de modestes retraités.

Que fait donc la majorité des locataires ? Seraient-ils tous devenus muets ? En fait, ils ont peur. Peur de la toute puissance des bailleurs qui peuvent mettre à la porte les locataires récalcitrants. Peur face aux hausses de loyers. Peur de perdre leur toit. Une peur dont Johann Schneider Ammann n’a aucune idée. A moins qu’il n’estime que cette peur fait partie du système libéral qui lui est si cher ?