En vue de la votation pour l’abrogation du service militaire obligatoire du 22 septembre prochain, deux de nos camarades, aux vues opposées, nous font part de leurs réflexions pour nous aider à faire la notre

 

1) Avez-vous fait votre service militaire et qu’estimez-vous en avoir retiré?

Pierre Jeanneret : J’ai fait du service militaire comme caporal dans les grenadiers de chars. Une grave maladie pendant l’école d’aspirant a interrompu ma «carrière». J’y ai apprécié le brassage de milieux sociaux. L’armée a aussi été une école de vie, en me prouvant qu’on peut aller loin dans l’effort physique et psychique.

Didier Divorne : J’ai effectivement fait une partie de mon service militaire, à savoir l’école de recrue. Le métier que je faisais à l’époque imposait en effet ma présence au boulot en cas de mobilisation et suivre un cours de répétition n’aurait servi à rien. Je n’ai pas retiré grand-chose de cette école de recrue. Ça m’a probablement fait du bien sur le plan sportif, mais je n’y ai rien appris qui m’a été indispensable ou tout simplement utile par la suite. Je n’ai plus eu de contacts avec les autres recrues par la suite.

 

2) Vous êtes contre/pour l’abrogation du service militaire obligatoire, pourquoi?

P.J. : Je suis contre l’abrogation du service militaire obligatoire, même si beaucoup réussissent à y échapper… L’armée de milice est l’armée du peuple en armes. C’est aussi l’un des piliers de l’unité confédérale. Servir le pays s’inscrit dans les devoirs du citoyen, qui vont de pair avec ses droits. Certes, le service militaire obligatoire va à l’encontre de l’esprit individualiste et égoïste encouragé par la société capitaliste de consommation. Cela dit, je serais encore plus favorable à un service national pour tous – hommes et femmes –  qui pourrait prendre des formes civiles ou militaires. Mais ce n’est pas à l’ordre du jour.

D.D. : Il me semble temps d’abroger l’obligation de servir. Nombre de recrues sont de toute façon « recalées » lors du recrutement. Ne plus obliger, c’est toujours laisser à ceux qui veulent faire l’armée l’opportunité de pouvoir le faire, si tant est qu’ils correspondent aux critères de recrutement. L’armée n’est, à mon avis, pas remise en cause par cette mesure. Si nécessaire, elle engagera un peu plus de professionnels qu’elle n’en a déjà maintenant. Dans tous les cas, ça serait positif tant pour les citoyens que pour les entreprises.

 

3) Que penser d’une armée composée uniquement de volontaires?

P.J. : Une armée de volontaires deviendrait vite une armée de métier. Passons sur le danger de putsch, qui est faible en Suisse. Aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne ou en France, cette armée comporte une forte proportion de Noirs et d’immigrés, peut-être considérés comme «moins dommages» en cas de décès ! Je crains que l’armée de «volontaires» recrute surtout dans les milieux sociaux les plus défavorisés, notamment dans la population au chômage …et chez quelques obsédés de la gâchette. D’autre part, elle faciliterait la participation suisse à des interventions militaires aventureuses à l’étranger.

D.D. : Cette armée fonctionnerait probablement mieux qu’aujourd’hui. Bien des soldats sont complètement réfractaires à suivre leurs cours de répétition. Il suffit de lire les témoignages de nombre de soldats pour s’en convaincre. A moins de tomber sur un officier qui se donne la peine de préparer un programme intéressant pour ses soldats, ces cours sont inutiles et sont une perte de temps et d’argent.

 

4) – Etre pour l’abrogation signifie forcément que tu es pour la suppression totale de l’armée ?
– Etre contre l’abrogation signifie forcément que l’armée actuelle suisse te convient?

P.J. : La question prouve que l’initiative soumise au vote n’est pas très honnête. Sous couvert de transformation de l’armée, elle vise à sa liquidation dans un second temps, comme le prouve l’appellation même des initiants, le GSsA.

D.D. : Les deux choses ne sont pas liées. Je suis pour la suppression de cette abrogation. Vu dans une perspective plus lointaine, je suis effectivement pour avoir une discussion de fond sur le maintien ou non de l’armée. Dans tous les cas, sa composition et ses missions ne sont plus en adéquation avec les risques actuels, mais personne n’ose la refondre.

 

5) Que pensez-vous du budget actuel de l’armée?

P.J. : Le PST/POP s’est prononcé pendant des décennies pour une armée de milice citoyenne, sobre et moins coûteuse. Je suis d’accord avec cette position.

D.D. : Le budget de l’armée est, avec plus de 4 milliards de francs, bien trop élevé. Il me paraît certain qu’une armée redimensionnée permettrait non seulement de dispenser bien du monde d’y participer, mais permettrait également d’allouer plus de moyens au volet social dans notre pays. On a permis aux entreprises d’économiser par des baisses d’impôts. Il est grand temps de venir en aide d’une façon correcte aux plus démunis d’entre nous.

 

6)  Finalement, la Suisse a-t-elle vraiment besoin d’une armée?

P.J. : On peut juger l’armée «inutile» tant qu’il n’y a pas de danger, et l’assurance maladie «inutile» si l’on n’est pas malade… Ce danger extérieur est actuellement faible, mais il peut réapparaître. Aucun pays souverain ne peut faire respecter cette souveraineté sans armée. Par ailleurs, je ne suis pas un pacifiste angélique. Ce n’est pas avec des rameaux d’olivier qu’on a écrasé le nazisme, mais grâce à l’Armée rouge et aux Alliés. J’ai appris à me servir d’une série d’armes : dans certaines circonstances historiques, celles-ci peuvent être des instruments de liberté.

D.D. : La Suisse a besoin d’être protégée de certaines menaces, c’est certain. Ces menaces ne sont cependant plus celles de l’entre-deux guerres et l’armée actuelle n’est pas en mesure d’y répondre. En l’état, notre armée n’est plus une nécessité absolue.

 

Propos recueillis par Céline Misiego