Se loger est un droit, mais pas à n’importe quelles conditions

Il est des besoins humains qui sont des fondamentaux. Manger, boire, se vêtir, se loger. Tous devraient être des droits inaliénables dans une société moderne et civilisée. Force est cependant de constater qu’on en est encore loin et notre société est peut-être un tant soit peu moderne, mais nullement civilisée.

La crise du logement est un des thèmes politique de « La Gauche » – et donc du POP & Gauche en mouvement – dans la campagne actuelle en vue des élections cantonales du 11 mars. Cette crise a de nombreuses causes et il est important de passer en revue la situation actuelle avant de passer à des propositions concrètes.

La venue d’entreprises internationales qui ont asséché un marché de l’immobilier déjà mal en point en est une cause qui ne peut être ignorée ou minimisée. Une absence quasi-totale de volonté politique permettant de juguler la spéculation et la mise en valeur des terrains en main des collectivités cantonales et communales en est une autre. Finalement, les propriétaires fonciers et promoteurs immobiliers cherchant à tout prix une maximisation des profits doivent également assumer leur part de responsabilités.

La pratique actuelle de la fixation des loyers en fonction du taux hypothécaire est inadaptée à plus d’un titre. Pour commencer, les hausses sont systématiquement répercutées par les propriétaires. Pour les baisses, c’est par contre au locataire de quémander une répercussion sur son loyer. D’autre part, cette méthode ne tient aucun compte de la dette hypothécaire. Il ne faut se faire aucune illusion; les propriétaires amortissent leurs dettes via une partie des loyers, mais continuent d’encaisser comme si leur immeuble étant complètement sous hypothèque. Puis, lorsqu’ils ont suffisamment amorti, il se relancent dans l’achat d’un nouvel immeuble. Un rendement sur une dette inexistante, que rêver de plus ironique ?

La spéculation en tant que telle n’est nullement freinée par quelque moyen que ce soit. On pourrait rétorquer à cette affirmation que la loi cantonale sur les impôts prévoit de taxer les gains immobiliers. Un tarif dégressif allant de 30% en cas de revente dans les 12 mois et diminuant jusqu’à 7% en cas de revente après 24 ans n’est pas, et de loin, de nature à freiner les spéculateurs de tout bord. C’est finalement plus un partage des bénéfices qu’un frein quelconque à l’augmentation des prix dans l’immobilier.

La spéculation foncière prend également d’autres visages. Le changement d’affectation de terrains agricoles en surfaces constructibles permet une plus-value phénoménale. Quel spéculateur averti se priverait-il donc d’une telle possibilité d’engranger de larges bénéfices ?

Les constats étant posés, reste à savoir quelles sont les mesures qui peuvent être prises. Du côté des locataires, il faut bien entendu systématiquement faire valoir son droit à une adaptation du loyer lorsque le taux de référence le permet. Il faudrait également, tant que faire se peut, trouver ou tenter de mettre en place des coopératives d’habitation et devenir ainsi locataire d’un immeuble dont le but n’est pas d’enrichir un propriétaire, mais de pouvoir loger ses habitants à prix coûtant.

Du côté politique, de nombreuses propositions doivent être imaginées. Elles sont à développer et à faire connaitre à la population, puis à faire passer au niveau institutionnel, en luttant pied à pied. Par des initiatives populaires ou par le dépôt de motions et de postulat au parlement cantonal.

La politique cantonale doit ancrer le principe que le logement est un droit fondamental dont le coût facturé ne peut être que lié à des coûts réels et prouvés. Un programme doit mettre en valeur les terrains cantonaux ou communaux constructibles et les réserver, via un droit de superficie, à des coopératives d’habitation à but non lucratif. Les terrains constructibles qui, pour des raisons spéculatives, sont laissés en friche, sont à exproprier et à remettre entre les mains de l’Etat ou des communes. En cas de vente d’un immeuble, priorité doit être donnée au rachat par les locataires ou par des coopératives d’habitation sur la base d’un prix estimé par une instance neutre en la matière. De plus, la taxation via les impôts des bénéfices liés à la revente d’un bien immobilier ou à la plus-value obtenue par un changement d’affectation doit être massivement augmentée afin de juguler toute spéculation de ce type.

La route est longue entre la situation actuelle et une solution acceptable pour la population. Elle est semée d’embûches et le lobby des propriétaires pèsera de tout son poids pour que rien n’aille empêcher le doux ronron de l’argent facilement accumulé. Mais ce n’est pas parce que le défi est de taille que nous devons y renoncer, bien au contraire. Les seuls combats perdus sont ceux qu’on ne mène pas et celui-ci mérite pleinement d’être mené.

Didier Divorne