Behram Alabay, un militantisme à toute épreuve

Behram Alabay, militant popiste lausannois, tient, avec ses camarades, le stand du parti tous les samedis matin à la place St-Laurent de Lausanne. C’est à cette occasion que je l’ai rencontré pour qu’il nous explique les raisons de son engagement ainsi que son parcours qui lui a donné cette motivation à toute épreuve.

Parle-moi un peu de ton parcours, ce qui t’a amené de la Turquie à la Suisse.
Je suis venu en Suisse comme réfugié politique. Je suis kurde et j’avais des problèmes en Turquie. Je travaillais pour un journal kurde, mais il y a eu des condamnations et j’étais recherché par la police. Alors j’ai quitté la Turquie et j’ai demandé l’asile politique à la Suisse il y a seize ans, ce que j’ai obtenu.

Pour quel genre de journal travaillais-tu ?
C’était un hebdomadaire engagé pour la cause kurde. J’occupais la fonction de responsable de ce journal. Avant cela je tenais une librairie aussi engagée dans laquelle je vendais des livres de gauche défendant la population kurde.

Comment s’est passée ton intégration en Suisse ?
A mon arrivée j’ai passé un an dans un camp de réfugiés. J’en ai profité pour apprendre le français par moi-même, car je ne connaissais pas du tout cette langue. Puis j’ai pris des cours de français et j’ai même essayé de faire l’université en français moderne à Lausanne. Voilà comment a commencé mon intégration. Puis j’ai fait des petits boulots dans la restauration.

As-tu subi des attaques racistes ?
Au départ non, ou alors je ne le comprenais pas vu que je ne savais pas le français. Mais je pense que les gens étaient plus gentils avant. Bien que je les trouve toujours très gentils à Lausanne, c’est d’ailleurs pourquoi je suis resté dans cette ville. Car, ayant pas mal de famille en Suisse allemande, j’ai un peu bougé par là-bas,
mais je n’ai pas aimé cette partie de la Suisse, j’y ressentais plus de racisme que dans la partie romande. Je me sens très bien ici à Lausanne.

Pourquoi as-tu choisis le POP ?
J’étais déjà une personne de gauche en Turquie depuis tout petit, car toute ma famille était dans la politique de gauche. Mon père était communiste et mon frère a même fait de la prison en Turquie car il était dans un mouvement kurde socialiste. D’ailleurs quand je discute avec des Kurdes ils me demandent pourquoi je ne suis pas chez les socialistes, mais pour moi le POP est plus à gauche que le PS qui est social-démocrate et moi je ne suis pas social-démocrate, je suis plus que ça. Certains me disent aussi que le parti socialiste est un parti plus grand, international tandis que le POP est trop local, mais moi ça ne me dérange pas. Je préfère toujours les idées et c’est pour ses idées que j’ai choisit ce parti. Quand je suis arrivé en Suisse on m’a parlé du POP et j’y suis entré en 1997 comme militant, puis je me suis présenté au comité directeur dont je fais partie depuis 2009.

Quelles différences as-tu remarqué entre le militantisme en Turquie et le militantisme en Suisse ?
Comme la vie est plus dure en Turquie, les gens y sont plus engagés. Ici je ressens ça plus comme un hobby, alors qu’en Turquie c’est plutôt une nécessité. Ici aussi il y a nécessité mais les gens le comprennent moins. Par contre je pense que les militants suisses sont plus éveillés, plus intellectuels, les turcs se battent car ils ont des problèmes, dans l’urgence, alors qu’il me semble que le militantisme des suisses est issu d’une réflexion sur la société.

En parlant de militantisme, on te voit pratiquement tous les samedis tenir le stand du POP à Lausanne. D’où vient cette assiduité ?
Ben déjà je me lève tous les matins à six heures et il faut que je m’occupe. Du coup je trouve que tenir le stand est une cause plus noble que d’aller se promener ou jouer aux cartes. Je m’y sens plus utile et surtout j’aime discuter avec les gens, faire de la politique, c’est ma vie depuis que je suis tout petit. Certaines personnes me demandent pourquoi je viens tous les samedis, est ce que j’y gagne quelque chose matériellement. Je leur réponds que j’y gagne des amitiés.

Qu’est ce qui te plaît dans les stands, qu’aimes-tu y faire ?
Moi j’aime discuter avec les gens. Certains préfèrent distribuer des tracts ou essayer de récolter le plus de signatures possible, moi j’aime parler. Tout à l’heure j’ai discuté une demi-heure avec une sympathisante POP avant qu’elle me dise « Mais j’occupe tout ton temps, tu préfères pas distribuer des tracts ? ». Je lui ai répondu que j’étais là pour parler avec tout le monde et que ce n’était absolument pas du temps perdu pour moi. Surtout que j’y rencontre des gens tellement différents, des compatriotes, des jeunes, des plus âgés, des gens ayant une sensibilité de gauche comme de droite… D’ailleurs l’autre jour il y avait un monsieur, je ne sais pas s’il plaisantait ou pas, mais il a dit que tous les étrangers il fallait les mettre dans des chambres à gaz… Bien sûr il y a de ça aussi mais ce n’est pas grave, même avec eux je rigole. Quand je tenais ma librairie en Turquie j’avais parfois des gens d’extrême droite qui venaient dans un élan très négatif. Mais çà ne m’a jamais dérangé de discuter pendant des heures avec eux, autour d’un café, et au final on devenait un petit peu plus copains. Il ne faut pas avoir peur de discuter, même avec ceux dont on ne partage pas les idées, il faut savoir garder un coeur et un esprit ouvert, et évidemment savoir faire preuve de patience. Les gens en général ne se parlent plus beaucoup et c’est quelque chose qui me paraît très important, également au sein du parti.

Que dirais-tu pour motiver nos militants à venir tenir les stands ?
Ben je dirais déjà qu’il faut lutter maintenant car demain il sera peut-être trop tard, et les stands sont un excellent moyen de faire connaître nos idées. En plus on s’y amuse beaucoup entre militants.

En fait tu ne te décourages jamais de militer…
Non jamais parce que pour mon militantisme j’ai déjà du changer de pays, quitter le mien et tout ce que j’avais acquis en Turquie. Ici c’est plus facile de faire de la politique car on n’a pas la police sur le dos, on n’a pas de menaces de mort. Donc je ne vois pas pourquoi je ne militerais pas ici alors que c’est plus facile et plus agréable que ce que j’ai connu avant.

Propos recueillis par Céline Misiego