Lucide et dynamique, Marianne Huguenin est certainement, parmi beaucoup d’autres, l’un des militants les plus emblématiques du POP vaudois. Dans son action, elle a pour boussole constante la défense des intérêts et des aspirations de ceux qu’on nomme « les petites gens », à tort du reste, car ils sont souvent grands par leur stature citoyenne et leur capacité de lutte. Médecin, elle vit à Renens où elle a été élue municipale.

Résistance : Quand êtes-vous, comme disent certains, entrée en politique ?

Marianne Huguenin : Très jeune et tout de suite dans les rangs de la gauche combative. Je suis née au Locle, petite ville ouvrière du Jura neuchâtelois, où les partis de gauche sont majoritaires depuis des décennies. Issue d’un milieu industriel (mon père était patron), J’ai suivi le Gymnase de La Chaux-de-Fonds où J’ai eu des maîtres progressistes, pacifistes. Le mouvement étudiant de l’époque m’a naturellement influencée. J’ai passé mon bac en 1969 et J’ai adhéré au POP de mon canton. l’année suivante, je suis entrée à la Faculté de médecine de l’Université de Lausanne. Plusieurs de mes condisciples de gauche étaient membres de la Ligue marxiste révolutionnaire. Quant à moi, je trouvais qu’en fait ils ne quittaient guère leur milieu d’origine. Le POP au contraire était le parti qui plongeait ses racines dans les couches populaires. Cela me convenait.

Vous avez été très active dès cette époque ?

J’ai participé à la fondation de POP-Jeunes, puis des Jeunesses communistes. J’ai assisté et présidé deux congrès suisses de ce mouvement. J’ai assez rapidement représenté les jeunes au Comité directeur du POP vaudois et au Comité central du Parti suisse du Travail (PST). Le temps des examens, je suspendais mes activités politiques. Je n’avais pas alors de mandats législatifs, mais je menais campagne, au côté de mes camarades, pour une meilleure AVS, pour la solidarité avec les républicains espagnols persécutés par Franco. En 1973, après l’assassinat d’Allende, j’ai lancé, avec d’autres camarades, l’Association de soutien à la résistance chilienne. J’ai été en stage à Sainte-Croix, puis à l’étranger…

Vous avez quand même été élue au Conseil communal de Renens…

Oui. J’estime que le combat parlementaire est l’une des fonctions importantes d’un parti comme le nôtre. c’est conforme à l’héritage du PST. Nous devons occuper tout le terrain possible, aussi bien dans les législatifs qu’au sein de mouvements comme celui qui s’oppose à la mondialisation capitaliste. l’extrême-gauche a tort de mépriser les enjeux électoraux. Notre rôle est de défendre sans concessions les intérêts populaires. Sinon l’abstention augmente, ouvrant la porte à la dérive populiste, voire au fascisme. c’est pourquoi J’ai accepté d’entrer au Conseil communal de Renens en 1981. J’ai également été élue députée au Grand Conseil en 1990 et J’ai figuré à plus d’une reprise, notamment avec Josef Zisyadis, sur la liste du POP aux élections au Conseil national ou au Conseil d’Etat. Enfin, en 1996, J’ai été élue à la Municipalité de Renens, reprenant la tradition d’un Municipal du POP, 16 ans après Véréna Berseth qui avait à son époque fait un excellent travail.

Quelle est votre tâche à l’exécutif ?

Renens est une cité ouvrière qui ressemble un peu au Locle. Médecin généraliste, psycho-somaticienne et m’occupant des problèmes de la drogue, J’y ai mon ancrage. c’est une commune pauvre. Mon élection s’est déroulée dans une ambiance conflictuelle. Ma ligne a été et reste claire : d’abord résister aux coupes sociales ou à l’immobilisme que la droite et la situations financière cherchaient à imposer, et essayer de relancer idées et projets dans une politique municipale souvent bien frileuse. Réélue en 1997 et en 2001, je dirige aujourd’hui le dicastère de la Sécurité sociale qui comporte entre autres les domaines de la petite enfance, du logement, des réfectoires scolaires, de la clinique dentaire. En tant que médecin, j’aimerais que la santé soit soustraite aux lois du marché. Je travaille encore à l’intégration des étrangers, nombreux à Renens, 4e ville du canton, mais dont les moyens demeurent trop faibles. c’est pourquoi le taux unique y a été accepté avec plus de 60% des voix. La bagarre actuelle autour d’Etacom, pour équilibrer les ressources entre les communes, est fondamentale.

Ce travail à l’exécutif vous pose-t-il des problèmes ?

Non, mais il n’est pas toujours facile. On y perçoit de plus près la complexité des mécanismes sociaux et politiques, des intérêts en présence. Il ne suffit pas de dire « y a qu’à », comme certains sectaires gauchistes ont eu tendance à le faire. Il faut donc être capable de négocier, de passer des alliances (parfois avec des adversaires politiques!), de faire des compromis, parfois se contenter de réaliser le possible et, dans le même temps, ne pas perdre sa boussole, ses principes, garder ses révoltes et ses indignations. Il est indispensable de développer au maximum les liens avec la population et de garder un lien fort avec le Parti.

Quels sont les implications des trois niveaux que nous connaissons en Suisse : le communal, le cantonal et le fédéral ?

Ces implications sont considérables. qu’il s’agisse de la défense de la nature, de l’intégration des étrangers, des questions agricoles, de celles du sol, de l’eau, de l’électricité, dans lesquels la recherche du profit règne en maître, les communes et les cantons dépendent largement de la politique fédérale. Par ailleurs, les enjeux sociaux sont de plus en plus régionalisés. c’est pourquoi le débat sur l’avenir des communes est au c½ur de ces problèmes. Je suis attachée à la proximité que permet l’action communale, mais de plus en plus persuadée que la structure communale, elle, est en partie dépassée. Il est indispensable que s’étende le contrôle démocratique sur l’ensemble de la vie citoyenne. Je ne perdrai jamais de vue cet objectif majeur de la politique.

Propos recueillis par Michel Buenzod

Marianne Huguenin est candidate au Conseil des Etats et au national

 

C’est à Berne que se prennent les décisions importantes

Marianne, ce n’est pas la première fois que tu es candidate à ce niveau ?

Je l’ai déjà été à ces 2 niveaux en 1987, quand le POP amorçait sa remontée qui lui a permis de retrouver un siège à Berne. Et pour le national, régulièrement ensuite, ayant même renoncé à y siéger comme vienne-ensuite après l’élection de Zisyadis au canton, comme je venais également d’être élue à la Municipalité. Cette fois-ci, le POP peut conquérir 2 sièges à Berne, en renforcement de celui occupé par Josef Zisyadis.
Et je dois dire que cela commence à me démanger de pouvoir intervenir là où se prennent les décisions politiques essentielles : chômage, assurance-maladie et politique de la santé en général, choix financiers de la Confédération : tout cela pèse sur le plan local où nous ne pouvons que réparer les pots cassés.

Quelle est l’importance d’une députée de plus à la gauche du parti socialiste ?

Ce pays a besoin d’une ferme opposition de gauche, déterminée à défendre pied à pied les intérêts de la population. Le PS est trop englué dans sa participation au Conseil fédéral, et trop divers : si certains sont proches de nous, d’autres, en particulier en Suisse allemande, ont cessé de résister et ne se distinguent plus guère de bourgeois progressistes.

Que penses-tu de l’UDc’

La mode de l’UDC repose à la fois sur un mensonge et sur la peur de l’avenir. Un mensonge, parce qu’il s’agit d’un parti réactionnaire, défendant la grande industrie et qui arrive à se faire passer pour un parti populaire. Vous avez déjà vu un UDC défendre les petits revenus ? Défendre les retraités, les assurés ? Et la peur de l’avenir, peur que je comprends, mais qui se base sur une vision idéalisée d’une Suisse ancienne. On oublie qu’il a fallu que la gauche se batte pour ce qui semble maintenant des évidences comme le droit aux vacances et l’AVS. Et que la nostalgie du passé ne sert que si elle aide à penser l’avenir.

Est-il possible de résister au recul de nos acquis sociaux ?

Il faut d’abord résister dans nos têtes : ne pas se résigner, garder l’indignation, la révolte. Tous les jours, dans mon métier de médecin et dans ma fonction de Municipale d’une ville comme Renens, je me dis que les richesses de ce pays sont mal réparties. La société néo-libérale basée sur le profit et la concurrence dans laquelle nous vivons fait des dégâts immenses sur les humains. C’est cette expérience que j’ai envie d’amener à Berne.

Jusqu’où la logique du système nous entraînera-t-elle ?

Je suis frappée de voir à la fois la force implacable du système économique qui pousse dans ce sens les entreprises comme les collectivités publiques et, en même temps la résistance à cette logique de milieux de plus en plus large: travailleurs résistant à une fermeture d’usine, paysans luttant pour survivre, anti-mondialistes, et toutes celles et ceux qui se refusent à tout réduire à l’économie. Cette résistance doit pouvoir s’inscrire aussi au niveau politique.

Dans la vie du monde, chacun apporte sa petite goutte d’eau. J’aimerais que la mienne soit utile à cela, et c’est dans ce sens que je suis prête à aller à Berne.

Interview: L.Sidler