Nous avons rencontré Marc Vuilleumier dans son petit bureau de la Fondation de l’Orme. Il est en effet directeur de cet Etablissement médico-social (EMS) du quartier de la Pontaise à Lausanne, important centre pour personnes âgées, disposant de 56 lits et d’une dizaine de places pour l’accueil de jour. Dès qu’on pénètre dans l’immeuble, on est frappé par l’atmosphère détendue qui y règne. Bien que beaucoup de pensionnaires constituent des cas lourds, comme on dit, l’humeur est sereine et optimiste. En 1997, la construction et l’aménagement de la maison étaient achevés. Marc Vuilleumier y a participé, en apportant son expérience et sa compétence : conçu comme une succession de petites unités très claires et ouvertes sur l’extérieur, l’EMS l’Orme est incontestablement une réussite. Une réussite qui reflète fort bien le caractère de l’homme devant lequel nous sommes assis : une assurance sans forfanterie, une chaleur alliée à un jugement rigoureux, des convictions fortes qui n’excluent nullement les nuances de la pensée.

Les années d’apprentissage


Résistance : Vous avez été élu président du législatif lausannois pour l’année 2001. Vous êtes donc le premier personnage de la ville. Quel a été votre parcours ?

Marc Vuilleumier : Je suis né à Berne en 1951. Mon père était pasteur romand dans la ville fédérale. Dès l’enfance, par dessus la « barrière des langues », J’ai été plongé dans un milieu où les relations entre Suisses alémaniques et francophones étaient constantes. Par la suite, J’ai fréquenté le gymnase à Neuchâtel ; puis, à Lausanne, l’Ecole sociale, aujourd’hui Ecole d’études sociales et pédagogiques. Gosse, J’ai été très vite en contact avec la politique. J’avais un grand-père libéral et un oncle radical. Pour éviter les conflits, la règle était de ne pas parler politique dans les réunions de famille. J’aimais beaucoup mes grands parents : ma grand-mère à qui je pouvais me confier ; mon grand-père, qui était chasseur et syndic de Bellerive et m’a laissé des impressions très fortes. Il commentait volontiers les événements de la vie communale et le rôle qu’il y jouait. Mon oncle, lui, participait à une mystérieuse « Commission paritaire » dont les séances finissaient par des gueuletons. A sept ou huit ans, ces deux hommes représentaient pour moi « la politique » : l’un mangeait, l’autre réalisait ! Chez mon grand-père – et aussi chez mes parents – on écoutait à la radio les « nouvelles » de midi et demi. c’était sacré. Peu à peu, je m’y suis intéressé, moi aussi.

Rés. : En somme, c’est un libéral et un radical qui vous ont ouvert des horizons politiques ?

M. V. (riant): Oui, dans le sens où je l’ai dit. Mais d’autres expériences de mon enfance ont joué un rôle. J’avais constaté que ma famille vivait bien, tandis que d’autres tiraient le diable par la queue. En tant que pasteur, mon père gérait la Caisse de paroisse, fruit des collectes dominicales. Il pouvait aider ainsi des vieux de condition très modeste venant lui réclamer un peu d’argent (qui, parfois, leur permettait de se payer des verres). J’étais très touché par la tristesse de ces vies. Là, J’ai eu la révélation de ce que pouvaient être les difficultés dans l’existence des plus démunis. Sans doute, est-ce la racine de mon intérêt pour les personnes âgés.

l’adhésion au Parti ouvrier et populaire


Rés. : Puis votre orientation s’est précisée ?

M. V. : J’ai fréquenté le Gymnase aux alentours des années 68. c’est dire que les discussions allaient bon train. Il y avaient les groupes gauchistes – maoïstes, trotskistes – qui faisaient beaucoup de bruit. Je n’ai jamais été attiré par ce genre de discours. J’approuvais certes certaines de leurs thèses en faveur de la justice sociale, mais la forme hermétique, sectaire, de leurs prises de position ne me plaisait pas. En outre, ces gauchistes agissaient en général sans sourire, avec le sérieux de ceux qui croient apporter des vérités toutes prêtes. Moi, je voulais militer dans la joie et pouvoir exercer mon esprit critique. l’un des hommes dont l’action m’a beaucoup influencé a été Che Guevara. Après lui, J’ai lu Fidel Castro, Régis Debray. Je me suis intéressé aux luttes de Cuba, de l’Amérique latine. A vingt-quatre ou vingt-cinq ans, je me suis tourné vers le POP où J’ai trouvé l’esprit de solidarité que je recherchais, sans pour cela que soit sacrifiée la discussion nécessaire. Et une défense sans concessions des classes populaires.

Rés. : Vous n’avez jamais remis ce choix en question ?

M. V. : Jamais. Sans doute y eut-il des moments difficiles. La période où notre Parti s’est trouvé au creux de la vague (pendant une législature, nous n’avions plus de conseillers communaux et nos adversaires nous avaient enterrés’ un peu tôt). Il y a eu également les problèmes créés par l’évolution des pays de l’Est, quand on s’est rendu compte que les atteintes à la démocratie n’étaient pas défendables. Mais quelle formation pourrait remplacer le POP et son orientation de sensibilité communiste ? Aucune.

l’AVIVO


Rés. : Quelles ont été vos activités au sein du POP ?

M. V. : J’ai été membre du Comité de la section de Lausanne, du Comité directeur, député au Grand Conseil aussi, mais J’ai renoncé à cette fonction pour me consacrer au Conseil communal. Quand J’ai commencé à participer au travail associatif, J’ai fait partie du comité de l’ASLOCA, l’Association de défense des locataires, où J’ai remplacé Fernand Petit. A l’époque, J’ai encore été parmi les fondateurs du groupe de quartier du POP de la Barre, qui s’est transformé en comité de quartier.

Rés. : Et sur le plan professionnel ?

M. V. : En 1982, avec ma femme Monique qui est infirmière, J’ai repris une petite maison pour personnes âgées de type familial. Cinq ans plus tard, Les Terrasses, une petite EMS de 16 lits, que nous continuons à gérer parallèlement à l’Etablissement où nous nous trouvons.

Rés. : Parmi vos fonctions bénévoles, vous vous êtes beaucoup impliqué dans l’AVIVO, l’Association vaudoise des aînés, l’une des plus importantes du canton…

M. V. : Oui, J’en ai été le président lausannois de 1982 à 2000, puis cantonal en 98. Son but est de défendre les intérêts de ses membres et, par voie de conséquence, de toutes les personnes âgées : assurances sociales, aspect législatif, etc. Le principe de l’AVIVO est de soutenir toutes les actions qui aident à maintenir les aînés dans la vie sociale. Nous luttons au maximum contre l’exclusion. Nos actions sont nombreuses : loisirs, organisation de petites vacances, groupes de pétanques etc. Nous ne fournissons jamais des solutions « clé en main ». Par exemple, ces temps-ci, nous avons mis sur pied une aide au remplissage des feuilles d’impôt. Il y a 22 permanences à disposition dans le canton (téléphone : 021 – 320 53 93). Elles sont assurées par 25 retraités que nous avons formés en vue de cette tâche. Cela fait partie de notre conception de la vie associative. Le développement de la démocratie locale est une idée que le Parti ouvrier et populaire a toujours défendue. La lutte contre le pouvoir du grand capital passe par un renforcement de l’influence de ceux qu’on appelle les « simples gens ». Le POP n’a pas pour ambition première d’occuper des sièges. Il cherche à contrer la puissance du capitalisme en unissant les citoyennes et les citoyens pour l’avènement d’une société plus juste. Il y a du pain sur la planche : par exemple, le scandale du manque de moyen des hôpitaux publics où, à tous les échelons, les personnels font un travail harassant et souvent mal rétribué ! Et pourtant, les millions de bénéfice des banques et des multinationales, suisses entre autres, prouvent qu’il y de l’argent !

Propos recueillis par Michel Buenzod.